Le Haut Conseil des finances publiques a été saisi pour avis par le Gouvernement le 9 avril 2024 des prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose le programme de stabilité 2024-2027.
Le Haut Conseil a été saisi en trois temps, du 9 au 11 avril 2024, sur les prévisions associées au Programme de stabilité. Il regrette que la saisine du Gouvernement ait été tardive, incomplète et qu’elle ne permette pas d’éclairer précisément les choix faits alors que les finances publiques de la France présentent une situation préoccupante.
Dans son avis de septembre 2023 sur le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027, le Haut Conseil estimait que le scénario de croissance du Gouvernement était optimiste et que la trajectoire de finances publiques était peu ambitieuse au regard des engagements européens de la France, alors même qu’elle supposait d’importantes économies structurelles qui restaient à préciser.
Il notait que l’inflexion modeste de la trajectoire de dette exposait la France au risque d’une divergence accrue avec le reste de la zone euro. Il rappelait la nécessité de ramener la dette à un niveau permettant à la France de se prémunir contre le risque de forte augmentation de sa charge d’intérêts et de disposer de marges de manoeuvre suffisantes pour faire face à l’avenir à des chocs macroéconomiques ou financiers et aux besoins d’investissement public élevés que nécessite en particulier la transition écologique. Le risque de divergence s’accroît nettement au vu des résultats de l’exercice 2023.
Le Programme de stabilité présenté par le Gouvernement modifie fortement la trajectoire de la LPFP, promulguée il y a moins de quatre mois.
Le Gouvernement a revu de 0,8 point à la baisse sa trajectoire de croissance sur la période 2023-2025, les hypothèses sous-jacentes sur les comportements d’épargne et d’investissement des ménages et d’investissement des entreprises étant remises en cause par les tendances récentes : après une croissance de 0,9 % en 2023 (contre 1 % prévu en LPFP), il prévoit désormais une croissance de 1,0 % en 2024 (au lieu de 1,4 %) et 1,4 % en 2025 (au lieu de 1,7 %).
Le Gouvernement a aussi révisé, mais à la marge, son évaluation du PIB potentiel, ce qui se traduit par un écart de production qui reste négatif jusqu’en 2027. Le maintien sur une longue période (8 ans depuis 2020) d’un écart de production négatif est une configuration qui ne s’observe jamais dans les évaluations ex post de l’écart de production. Ceci conforte le diagnostic du Haut Conseil que la trajectoire de PIB potentiel retenue dans la prévision du Gouvernement est surévaluée. Il y a donc un risque important que l’évaluation du PIB potentiel par le Gouvernement soit révisée ultérieurement à la baisse, et donc que la part structurelle du déficit le soit à la hausse.
La nouvelle trajectoire de finances publiques présentée dans ce Programme de stabilité est nettement plus dégradée que dans la LPFP. Dès 2023, première année de la LPFP, le déficit public (5,5 points de PIB) et la dette publique (110,6 points de PIB) sont beaucoup plus élevés que prévu dans la LPFP (de 0,6 et 0,9 point de PIB respectivement). C’est aussi le cas en 2024, où le déficit (-5,1 points de PIB) est prévu en hausse de 0,7 point par rapport à la LPFP, malgré des mesures d’économies prises en compte dans la prévision. La cible de déficit public pour 2027 a également été relevée (2,9 points de PIB au lieu de 2,7 points), même si le Gouvernement maintient l’objectif d’un retour sous 3 points de PIB à cet horizon. Compte tenu de la dégradation des prévisions de finances publiques en 2023 et 2024, elle est beaucoup plus exigeante que celle de la LPFP.
Cette trajectoire conduit à une augmentation du ratio de la dette au PIB par rapport à 2023. Celui-ci atteindrait 112 points de PIB en 2027, soit 4 points de plus que prévu dans la LPFP. La France tarde ainsi à réduire son ratio de dette sur PIB et resterait durablement parmi les trois pays les plus endettés de la zone euro.
Compte tenu de la dégradation du solde public enregistrée en 2023 par rapport à la prévision de la LPFP et d’hypothèses de croissance moins élevées, le retour du déficit public sous 3 points de PIB en 2027 supposerait un ajustement structurel massif entre 2023 et 2027 (2,2 points de PIB sur quatre ans) qui, selon les indications produites dans la saisine du Gouvernement, s’appuierait essentiellement sur un effort d’économies en dépenses.
Le Haut Conseil considère que cette prévision manque de crédibilité : alors qu’un tel effort en dépenses n’a jamais été réalisé par le passé, sa documentation reste à ce stade lacunaire et sa réalisation suppose la mise en place d’une gouvernance rigoureuse, associant l’ensemble des acteurs concernés (l’État, les collectivités locales et la sécurité sociale), qui n’est pas réunie aujourd’hui.
Cette prévision manque également de cohérence : la mise en oeuvre de l’ajustement structurel prévu pèsera nécessairement, au moins à court terme, sur l’activité économique, si bien que les prévisions de croissance élevées du Gouvernement pour la période couverte par la LPFP apparaissent peu cohérentes avec l’ampleur de cet ajustement.
La mise en cohérence du scénario passerait ainsi, à prévision macroéconomique inchangée, par un effort de réduction des déficits plus limité, ou, à objectif de réduction des déficits inchangé, par des prévisions de croissance nettement plus faibles et des efforts en dépenses encore plus importants que ceux, pourtant inédits, envisagés par la trajectoire du Programme de stabilité.
Le Haut Conseil souligne à nouveau que la nécessaire réduction du déficit suppose prioritairement une stratégie articulée et crédible de réduction du poids de la dépense publique dans le PIB, et un réexamen des baisses prévues de prélèvements obligatoires.