L’évolution des dépenses publiques « à politique inchangée »

L’évolution des dépenses publiques est souvent décomposée en distinguant une évolution « tendancielle », dite parfois aussi « évolution à politique inchangée », des « mesures » prises relativement à celle-ci. Ces décompositions sont importantes car elles sont utilisées pour caractériser les choix d’orientation des finances publiques. Leurs sous-jacents doivent donc être soigneusement explicités, que ce soit sur le plan conceptuel ou pour ce qui est de leur évaluation empirique.

1/ Plusieurs notions de « politique inchangée » sont à distinguer. Elles n’ont pas le même sens ni le même usage :

La notion de « politique inchangée » peut d’abord être entendue comme l’évolution qui est de nature à maintenir stable le poids des dépenses dans le PIB. Cette approche conduit à identifier l’évolution tendancielle des dépenses publiques à la croissance potentielle. Elle présente de nombreux avantages : établie de longue date, elle est simple, inscrite dans le droit organique et reconnue internationalement. Par construction, elle assure un lien entre l’effort réalisé par rapport au tendanciel (les mesures) et l’évolution du ratio de dépenses au PIB. Elle est aussi la seule approche dans laquelle l’effort réalisé reflète convenablement l’orientation effective de la politique budgétaire (expansionniste, neutre ou restrictive).

Une autre notion de « politique inchangée », qualifiée ici de « tendanciel de moyen terme », correspond à une évolution prolongeant les tendances observées sur le passé en maintenant constantes les grandes orientations de politique publique. Une telle évolution diffère de la croissance potentielle pour deux raisons. D’une part, il se peut que l’évolution passée moyenne de la dépense diffère de la croissance potentielle. D’autre part, cette approche peut tenir compte de déterminants de moyen terme, comme la démographie, qui tendent à infléchir, à la hausse ou à la baisse, la simple reconduction des moyennes passées. Ce tendanciel de moyen terme est utile pour faire saisir, dans le cadre de l’élaboration d’une stratégie pluriannuelle, l’écart entre la reconduction des politiques passées et les objectifs de programmation. L’ordre de grandeur de cet écart indique les économies à rechercher dans une revue des dépenses publiques à mettre en oeuvre sur plusieurs années.

Enfin, une variante de la notion précédente, baptisée ici de « tendanciel de court terme », correspond à l’évolution prévisible de la dépense tenant compte non seulement des tendances de moyen terme, mais aussi des mesures considérées comme déjà acquises dans le contexte considéré (« coups partis ») et d’autres facteurs plus techniques et ponctuels affectant la prévision de dépense à court terme. En particulier, il peut s’agir du dernier état de la prévision de dépense pour l’année suivante (N+1) en amont du PLF/PLFSS. Cette notion est donc plus court-termiste et propre à un contexte spécifique. Son intérêt est de pouvoir communiquer sur le quantum de mesures supplémentaires à prendre, dans le cadre des textes financiers, ainsi que leur répartition, de façon à atteindre la cible de dépense visée pour l’année N+1. Au-delà de l’année N+1, les coups partis et autres développements spécifiques de court terme s’atténuent et le tendanciel de court terme finit par s’identifier au tendanciel de moyen terme.

2/ Sur le plan conceptuel, ces diverses notions d’« évolution à politique inchangée » n’ont pas non plus les mêmes limites :

Dans l’approche traditionnelle (croissance potentielle), l’effort réalisé en dépense ne correspond pas à l’addition des mesures présentées dans les textes financiers, même si la notion traduit bien un sens possible de politique inchangée (stabilité du poids dans le PIB), au niveau de l’ensemble des dépenses comme dépense par dépense.

Dans les deux autres approches (tendanciel de moyen terme ou de court terme), il n’y a en revanche pas correspondance entre le montant affiché de mesures et l’orientation effective de la politique suivie. En effet, dans le cas typique où le tendanciel évalué est dynamique, il se peut que malgré l’adoption de mesures d’économies, le ratio de dépenses continue structurellement à augmenter.

Cette observation s’applique au niveau de l’ensemble des dépenses comme à celui de chaque catégorie de dépenses, et pointe vers un risque de mésusage : il est incorrect de tirer directement de la lecture des mesures de redressement, et de leur répartition, des conclusions relatives à l’orientation effective de la politique menée, et à sa répartition entre politiques publiques. Tout au plus peut-on interpréter les mesures comme une évaluation de l’inflexion donnée à la politique suivie. En outre, le tendanciel de court terme inclut déjà des mesures, d’économies ou dépenses additionnelles, dans le cas où celles-ci ont été adoptées antérieurement aux textes présentés. Les redressements affichés ne correspondent donc qu’aux mesures supplémentaires présentées en PLF/PLFSS ou considérées comme sous-jacentes à ceux-ci. Le renoncement à une mesure de dépense additionnelle antérieurement prévu apparaît par exemple comme une économie, même si cette mesure n’a pas encore été mise en oeuvre.

3/ Sur le plan empirique, l’évaluation des tendanciels de moyen terme ou de court terme requiert de nombreux choix conventionnels, par nature discutables :

Deux méthodes sont surtout mobilisées pour évaluer en pratique un tendanciel de moyen terme, conduisant à des résultats différents selon la manière dont elles sont mises en oeuvre : une méthode rétrospective fondée sur les évolutions passées, et une méthode prospective fondée sur les déterminants de la dépense ou des objectifs politique de dépense déjà établis. Des choix conventionnels sont requis s’agissant notamment du périmètre d’application de chacune des méthodes au sein des dépenses, des périodes retenues pour les calculs dans les méthodes rétrospectives, ou encore des hypothèses retenues pour les déterminants de la dépense dans les méthodes prospectives.

Dans le cas du tendanciel de court terme, d’autres points d’attention s’ajoutent aux précédents. Notamment, le tendanciel de court terme peut incorporer un grand nombre de développements de court terme qui sont considérés comme exogènes du point de vue de la construction du PLF/PLFSS, par exemple les évolutions de la contribution au budget de l’UE ou l’évolution « spontanée » des dépenses des collectivités locales. Du fait de l’évolution des informations ou des hypothèses relatives à ces développements, l’évaluation du tendanciel de court terme est par nature fluctuante, que ce soit au fil du temps pour une année donnée, ou d’une année sur l’autre à un moment donné. Il est aussi nécessaire de faire des hypothèses sur ce que ce serait un PLF/PLFSS « contrefactuel », ce qui est nécessairement conventionnel. Les conventions retenues influent sur l’intensité et la répartition des efforts affichés.

Enfin, la relation avec le scénario économique est un point à soigneusement préciser. D’une part, le tendanciel est conditionnel à la prévision d’inflation, et évolue avec celle-ci, en valeur mais aussi vraisemblablement en volume, du moins à court terme. D’autre part, l’usage du tendanciel pour évaluer le montant de redressements nécessaires suppose que les effets économiques des redressements, et ainsi leur incidence en retour sur les finances publiques, aient été anticipés dans les hypothèses économiques sous-jacentes au tendanciel.

Au total, une documentation transparente des diverses hypothèses est a minima requise. Mais il faut garder à l’esprit que même bien documentée, l’évaluation retenue conserve une dimension conventionnelle, et les résultats sont assez sensibles à de tels choix.

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